• La réduction phénoménologique




    1 - Thèse de l'attitude naturelle

    Que je sois cartésien, kantien ou hegelien, je suis toujours en face d'un monde. Quelque soit ma façon de le penser, la façon de me considérer, j'ai beau fermer les yeux, lorsque je les ouvre, le monde reste là. D'ailleurs, j'ai une foi naturelle dans le monde, je me déplace dedans avec confiance, je retrouve les mêmes choses aux mêmes endroits. C'est la thèse du monde. Le terme "thèse" est assez intéressant, il faut le comprendre comme poser quelque, comme lorsque l'on pose une thèse, puis une antithèse. Le monde est là, quoique je fasse, il restera là.


    2 - Épokhè, suspension de la thèse

    Pour Husserl, il n'est nullement question d'élaborer une philosophie qui met en doute ce monde. Le doute cartésien, lui, va mettre en doute l'existence du monde. Le doute cartésien est une antithèse, une destruction du monde. Or, pour Husserl, il n'en n'est pas question. Husserl, lui, va suspendre cette question. C'est l'épokhè.

    L'épokhè, c'est la mise entre parenthèse, la mise en suspens. Le monde est là, soit. Mais je ne décide pas de son existence, ni de son inexistence. Le monde est un là, et c'est comme tel que je dois le prendre. Que je sois solipsiste ou matérialiste, je suis engagé dans ce là du monde, dans cette attitude naturelle. L'épokhè n'altère en rien cette attitude naturelle, elle suspend simplement la thèse du monde. L'épokhè est plus profonde que le doute, car elle est avant la négation. Le monde peut être ou n'être pas.

    Maintenant que j'ai suspendu la question de l'existence du monde, que me reste t-il ?


    3 - Après réduction : reste la conscience d'un monde

    Je viens de suspendre la thèse du monde par l'épokhè. Par là, j'ai mis hors circuit tout un ensemble de chose, il s'agit d'une réduction phénoménologique. Conclusion : "Je suis, je pense" et "j'ai un monde en face de moi".

    La sphère du Cogito subsiste. Il faut bien entendre le Cogito comme un ensemble de vécu propre à une sphère consciente (je perçois, je me souviens, j'imagine, je juge, je sens, je désire, je veux...). C'est l'ensemble du flux du vécu. Et ce Cogito est en face d'un monde, qui est là, en face de lui, permanent.

    Maintenant peut s'ouvrir la nouvelle science : l'investigation éidétique de ce Cogito et de son monde. C'est-à-dire, la recherche de l'essence de la conscience en face de ce là, une fois la réduction opérée.


    *


    II - L'investigation éidétique de la région "conscience"


    1 - Cogito / Cogitatio / Cogitatum

    Je suis à mon bureau, face à une feuille blanche et à mes livres. Je perçois ce bureau sous un certain angle, selon une certaine luminosité. Je suis assis, et je ne vois pas ce qu'il y a derrière la face cachée de ce bureau. Cet angle de vue, cette visée perceptive qui m'est propre, c'est la Cogitatio.

    À ce bureau que je perçois s'oppose l'objet de ma perception. Ce bureau tel qu'il est dans l'espace physique, tel qu'il est dans l'étendue face à d'autres objets.





    2 - Objet explicite actuel / Fond implicite inactuel

    Toujours à notre bureau, analysons notre Cogitatio. Il y a livre, en face de moi, un livre de Husserl . Ma conscience porte toute son attention à cet objet. Elle est dite actuelle, explicite. Pourtant, la pièce n'a pas disparu. Quand bien même je ne porte mon attention qu'à ce livre de Husserl, il y a d'autres livres à côté, des feuilles, mon ordinateur... Bref, un arrière plan, un fond à cet objet. Si une feuille s'envole, je la percevrai, car j'ai une forme de conscience de cet arrière. Cette conscience est dite inactuelle, implicite. À tout moment, je peux ballader mon attention et renverser l'inactuel en actuel. L'arrière fond inactuel est donc un potentiel.




    D'ailleurs, je me rend vite compte en analysant cette Cogitatio que cela n'est pas valable que pour la perception mondaine, la perception d'un objet du monde. Si je me remémore un souvenir, un rêve, ou que j'imagine une scène fantaisiste, ma conscience va porter son attention sur un objet avec son arrière plan. Très vite, je m'aperçois qu'il s'agit d'une propriété générale de la conscience, d'être tournée vers un objet. Je découvre l'intentionnalité.

    L'intentionnalité consiste en ceci : toute conscience est conscience de quelque chose. Quelque soit le vécu, quelque soit la clareté de la perception, la conscience est tournée vers un objet.


    3 - L'objet intentionnel et les Data des sens

    Mais c'est très étrange lorsque l'on y réfléchit. Je prend en main ce livre de Husserl, et je le tourne dans tous les sens. J'en vois différentes faces, différents aspects, et pourtant, pourtant ce livre reste le même. Je peux le contourner, le voir de différents endroits, ce livre garde cette unité profonde. Je viens de découvrir une autre propriété éidétique de la conscience : elle est synthétique. C'est-à-dire, qu'elle unifie le flux de la perception.

    Car la perception, lorsque l'on y réfléchit, consiste en premier lieu en des matériaux sensoriels. Ce livre frappe par sa blancheur. Je le touche, et le papier est rugueux mais la couverture est lisse (hummm j'aime la collection Tel gallimard). Bref, la perception en son fond consiste en des Data de sensations / affections. Les Data pour Husserl, sont la matière de la perception. Matière saisit par mon corps. Ma conscience intentionnelle va appliquer sa forme, synthétiser le divers du flux en un seul et unique objet.





    4 - Cogitatio immanent

    Seulement voilà, avec toutes ces découpes éidétiques, il ne faut pas perdre de vue l'expérience empirique. Avant que je prenne conscience de ma perception du livre, lorsque je contemplais encore innocemment sa couverture sans me soucier des caractéristiques éidétiques de cette expérience, lorsque j'étais immergée dans l'attitude naturelle, est-ce que cette cogitatio consistait en un objet intentionnel pour la conscience qui résulte de la synthèse du flux sensoriel ?

    Et bien non. Ce livre était un, total. C'était juste un livre. Si ma conscience unifie le flux du divers et qu'elle impose sa forme, tout cet ensemble de mécanismes transcendantaux est immanent à l'objet. Ma conscience du livre est immanente à son objet.







    Citation:
    La perception et le perçu forment par essence une unité sans médiation, l'unité d'une cogitation concrête unique.
    Husserl, Ideen, p.123.

    Bref, ma conscience est profondément entrelacée au monde. La perception est immanente au perçu.

    Je peux à présent effectuer une première esquisse de cet ordre éidétique de la conscience d'un objet (sans oublier son immanence empirique) :





  • Commentaires

    1
    chabrol
    Mercredi 12 Novembre 2008 à 21:18
    gratitude
    merci de votre contribution à l'exposition de le réduction phénoménologique.gràce à vous j'ai compris;
    2
    chabrol
    Mercredi 12 Novembre 2008 à 21:19
    gratitude
    merci de votre contribution à l\'exposition de le réduction phénoménologique.gràce à vous j\'ai compris;
    3
    chabrol
    Mercredi 12 Novembre 2008 à 21:21
    gratitude
    merci de votre contribution à l'exposition de le réduction phénoménologique.gràce à vous j'ai compris;
    4
    unat
    Vendredi 22 Mai 2009 à 22:01
    husserl
    très bon exposé pour ceux qui s'intéressent à la philo en général et à la phénoménologie et à Husserl en particulier.Travaillant sur Michel Henry,cet autre phénoménologue moins connu j'effectue des retours sur Husserl que je connais peu afin de mieux comprendre la question de l'apparître.Comme le signale M.Henry,chez Husserl,comme chez ses continuateurs(Heidegger,Sartre,etc...)la texure même de l'intentionalité n'est pas élucidée.De quoi elle est faite?Comment se met en mouvement?etc...restent inexplicités.D'un autre côté,l'entrelac du monde et de la conscience est déjà une attitude naturelle.En cela Husserl ne découvre rien,il met à jour la structure qui est à l'oeuvre dans l'attitude naturelle(naïve,préscientifique).A mon sens c'est l'impossibilité de découvrir le "comment" de l'apparître de l'intentionalité que Husserl se trouve obligé de se rabattre sur la réalité du monde et finalement lui attribue ce pouvoir co-constitutif avec la conscience de la réalité des choses.Recevez mes amitiés sincères et à bientôt peut-être.
    5
    morchid
    Lundi 9 Novembre 2009 à 23:58
    salut
    merci pour ce petit cours
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